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Théâtre et politique culturelle du gouvernement.

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Coup de théâtre à l’Odéon. Manifestation. Hier à Paris, quelque 150 représentants de la scène française exprimaient leurs inquiétudes face à la politique culturelle du gouvernement.

Par MARIE-CHRISTINE VERNAY, le jeudi 28 février 2008, sur Liberation.fr :

Claude Régy rougit de colère. Sa voix, ses mains en tremblent. Il raconte une réunion dans les bureaux du ministère de la Culture en quête d’économies : «Ils m’ont conseillé de prendre ma retraite. "Vous pourrez continuer à travailler", ont-ils ajouté. On m’a même donné des conseils artistiques, conseillé de ne pas accompagner mes spectacles en tournée. Et là, ça ne va pas, cela concerne l’artistique. Il est hors de question que le ministère intervienne sur ma manière de faire.»



C’était hier matin sur la scène du Théâtre de l’Odéon, dirigé par Olivier Py. Plus de 150 personnes, metteurs en scène pour la plupart, comédiens, auteurs, chorégraphes aussi, s’étaient donné rendez-vous dans ce théâtre national emblématique, lié à 68. Cela à deux jours de la manifestation nationale de vendredi, à l’appel de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (UFISC). Incroyable et jusqu’à hier improbable photo de famille, où les plus jeunes ou les plus démunis côtoyaient les pointures du théâtre vivant : Jean-Pierre Vincent, Alfredo Arias, Ariane Mnouchkine, Patrice Chéreau.

Triple pression. «On tend à nous diviser et nous avons tendance nous-même à le faire. Mais nous sommes tous là aujourd’hui, a dit Jean-Pierre Vincent. Nous sommes liés économiquement, nous formons une vaste coproduction.» Aujourd’hui, quasiment plus aucun théâtre n’a les moyens de s’engager seul dans une production.

La colère dans les prises de parole ne se cachait pas derrière un discours préparé et policé. Ce rendez-vous s’est improvisé en trois jours, à coup de SMS et de mails. Arnaud Meunier, directeur de la compagnie la Mauvaise Graine, a rappelé la situation financière : «Notre profession subit une triple pression. Celle de "l’érosion mécanique" des budgets des institutions, qui ne sont pas (à l’exception des cinq théâtres nationaux) indexés sur l’inflation ; celle de la future convention collective, qui coûtera plus cher aux employeurs ; celle de l’aberration de l’indemnisation chômage des artistes et des techniciens.»

Le gel de précaution de 6 % pour les budgets 2008 du spectacle vivant a en partie été appliqué. Le dégel annoncé de 35 millions n’a pas été total, la moitié des crédits ayant déjà été utilisés pour rembourser les dettes d’investissement de l’Etat et ses crédits de cofinancement européen.

«Air malsain». Les compagnies ont de plus en plus de difficulté à maintenir leur activité. Elles subissent le contrecoup de l’affaiblissement des capacités artistiques des institutions et elles voient leur subvention diminuer, 4 % au minimum pour les compagnies franciliennes, 6 % pour celles directement gérées par le ministère de la Culture.

Didier Bezace (directeur du Théâtre de la commune à Aubervilliers) relit régulièrement l’article 1 du contrat qui lie son théâtre à l’Etat : «C’est fabuleux, on me demande d’être ambitieux et cela me convient. Je signe. Mais là où cela ne va plus, c’est que je n’ai plus les moyens d’assurer cette ambition. Nous ne sommes pas dans une époque de contrats, mais de rupture de contrats.» Et d’ajouter: «On respire un air malsain. J’ai lu une chronique dans un hebdo. Le journaliste y écrit qu’aller au restaurant c’est mieux que de bailler dans un théâtre.»

Ariane Mnouchkine, assise dans la salle au côté de Patrice Chéreau, est allée dans le même sens : «Une part des Français ne nous comprend pas, nous voit comme des privilégiés. Nous n’avons de chance que si nous arrivons à nous faire comprendre. J’aimerais que le public soit là. Nous tenons encore une réunion corporatiste, qu’on le veuille ou non. Nous n’avons que faire d’une victoire à la chauffeurs de taxis. Je ne crois pas aux entretiens de Valois. Il n’en faut pas beaucoup pour nous diviser. Albanel a été mise là pour ne rien faire, c’est très grave. On fait comme si ce gouvernement était normal, mais on a un gouvernement anormal. Il faudrait signer une charte entre les citoyens et les artistes.» Et peut-être rappeler qu’il y a plus de 20 millions de spectateurs par an pour le spectacle vivant (3,5 millions pour les Centres dramatiques nationaux), 69 500 représentations, et que le nombre d’emplois dans ce secteur équivaut à celui de certains secteurs industriels.

Le rendez-vous de l’Odéon pourrait peut-être se révéler plus efficace que les entretiens de Valois, dont on ne connaît d’ailleurs pas encore l’issue. En juin, lorsque ceux-ci s’achèveront, Christine Albanel, qui les a initiés, sera-t-elle encore ministre de la Culture ?

Didier Bezace parla, en citant Jean Vilar, du «mariage cruel» avec les tutelles. Union pour le meilleur et aujourd’hui surtout pour le pire. Et citant Victor Hugo : «Ce sont de bien maigres économies pour de bien grands dégâts.»

Culture : La culture victime de Sarkozy. Subventions en baisse, budgets d’austérité, la politique culturelle du gouvernement est contestée. Mobilisation nationale aujourd’hui. Par Gérard Lefort, le vendredi 29 février 2008, sur Liberation.fr :

Le 4 avril 2007, le candidat de la droite s’exprimait sur la culture : «Je veux que la culture soit faite pour le peuple.» Lénine ? Non, Sarkozy. Une fois devenu hyperprésident, Nicolas Sarkozy envoyait le 1er août une «Lettre de mission» à Christine Albanel, ministre de la Culture. Où il développait ses «priorités» (défense de la diversité culturelle, valorisation du patrimoine…) mais en les augmentant d’un diagnostic asséné comme une évidence : «L’échec de la démocratisation culturelle. Financée par l’argent de tous, elle ne bénéficie qu’à un tout petit nombre.» S’en suivait un nouvel appel au peuple, pour faire passer l’acidité du plat de résistance : «La démocratisation culturelle, c’est veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public.» Privilégier la demande (du peuple) plutôt que l’offre (des créateurs), obligation de résultats, menaces d’un contrôle et de sanctions via l’audimat des publics que, dès lors, il aurait été plus franc d’appeler des clients. La grenade des «lois du marché» était jetée dans le jardin de la culture.



«Austérité».On la crut désamorcée lors de la présentation le 26 septembre du budget de la Culture par Albanel. Environ 3 milliards d’euros, en progression de 3,2 % (lire ci-contre). Mais au fil du temps, d’un budget «en hausse», on passa à un budget «reconduit» par rapport à 2007 (en français, en baisse, compte tenu de l’inflation) puis à «un budget d’austérité», formule employée par Albanel lors de ses Entretiens de Valois annoncés comme le Grenelle de la culture. Au nom d’une rentabilité à courte vue (dont la réduction du nombre des fonctionnaires dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques), la baisse des subventions tous azimuts devrait être de 20 %.

Panique dans le monde de la culture. Et nouvelle tentative de déminage avec ces Entretiens de Valois dont le but, classique en stratégie des entreprises, fut de diviser pour mieux embrouiller. En janvier, la ministre, lyophilisant la culture au seul domaine des arts vivants, ménageait ce qu’elle appelle «le cœur de réseau» (Scènes nationales et Centres dramatiques nationaux). A cette loterie ne récompensant que les «notables» (déjà abondamment subventionnés), ce sont mathématiquement les petits qui sont appelés à souffrir. Le vent de panique vire alors à la tempête et la tentative d’enfumage tourne court.

Mercredi au théâtre de l’Odéon (Libération d’hier), la réunion du ban et de l’arrière-ban des metteurs en scène du théâtre public est à cet égard «historique» : les gros ont frayé avec les petits pour un mouvement de solidarité et de très mauvaise humeur. Preuve que le malaise, s’il est indexé sur les restrictions budgétaires, est plus fondamentalement causé par la décision d’imposer à la politique culturelle des modèles économiques relevant de l’idéologie libérale la plus benoîte.

La ligne générale est au désengagement de l’Etat (à l’exception des grands établissements vedettes), sur l’air d’un «démerdez-vous» qui recouvre aussi bien l’incitation à faire entrer massivement le secteur privé dans le système culturel (mécénat, parrainage…) ou à créer des services ou des activités commerciales propres (les fameux «produits dérivés») que la délégation aux régions. Ce qui dans tous les cas fait songer au leitmotiv des martiens envahissant la planète Terre dans le film Mars Attacks de Tim Burton : «Ne courez pas, nous sommes vos amis.» Car il est évident qu’un groupe privé (au hasard LVMH) ira à une manifestation culturelle de prestige destinée à dorer son blason, de préférence à un zébulon bidouillant de l’art numérique dans un garage de Charleville.

Clientélisme. L’accroissement de la délégation des décisions budgétaires aux régions n’est guère plus convaincant. La politique de décentralisation culturelle ne date pas de l’ère Sarkozy. Les Drac (Directions régionales des affaires culturelles) ont été créées en 1977. Ce système a ses vertus (notamment via les Frac, Fonds régionaux d’action culturelle, avec la constitution et la diffusion de collection d’œuvres d’art contemporain de qualité).

Mais faute d’avoir été accompagnée d’une politique de formation de cadres culturels locaux compétents, la délégation a induit un défaut fondamental : le clientélisme, voire le populisme régionaliste. Dans une période de restrictions budgétaires, on voit mal comment ce défaut ne pourrait pas dégénérer : soutien prioritaire à la culture spectaculaire et aux «amis», l’un n’excluant pas l’autre. Verra t-on au nom du principe de rentabilité économique appliqué à la culture, tel responsable de théâtre subventionné, tel responsable de musée, soumettre sa programmation aux élus locaux ? Dans certaines régions, ce cauchemar est déjà d’actualité.





D'après liberation.fr