blog cours de theatre

blog ouvert sur le théâtre vivant. Vie, avis et projets d'une troupe d'étudiants en formation de comédien en atelier theatre à Mantes-la-Jolie, près de Paris
Home

Aller au menu | Aller à la recherche

Jeu de l'acteur

, 10:32 - Lien permanent

Théâtre et réalité Le jeu de l’acteur



L'acteur est au centre : c’est lui, qui plus que tout autre élément, définit ce qu’est le théâtre, l’acte théâtral.
Dans L’Échange de Paul Claudel, quand Lechy Elbernon tente d'expliquer ce que c'est à quelqu’un qui l’ignore, elle commence par le plus neutre, le plus périphérique, les murs de la salle, pour terminer par elle-même, l’actrice.
De même Valère Novarina affirme que l’acteur n’est pas au centre, il est le seul endroit où ça se passe . S’interroger sur le théâtre et sa relation à la réalité, c’est donc s’interroger sur le comédien, sur ce qui se passe quand il joue. Que se passe-t-il quand on fait « comme si », quand on s’acquitte d’un rôle (Molière) ? Qu’est ce que jouer ? Comment peut-on faire une chose pareille ?




1. Deux conceptions opposées du jeu de l’acteur Les différentes conceptions du jeu de l’acteur peuvent se répartir en deux catégories, sur un axe dont les deux extrêmes seraient, d’un côté Molière et Polus, de l’autre Diderot et Brecht.

Chez Molière et Polus se produit la même confusion de l’acteur et du personnage. L’auteur de L'Impromptu de Versailles demande à ses acteurs de « prendre ... le caractère de leurs rôles. » Le fait que la limite entre le jeu et la réalité s’efface est marqué par un double mouvement : le metteur en scène demande aux membres de sa troupe de « se remplir du personnage » et en même temps d’« entrer bien dans le caractère », de sorte que l’on ne sait plus bien qui habite l’autre.

La démarche de Polus est encore plus extrême, dans la mesure où, s’il y a confusion, ce n’est plus le théâtre qui devient réalité, mais la réalité qui passe telle quelle dans le théâtre, une vraie douleur sous le masque tragique.

Diderot au contraire réclame de l’acteur qu’il ne s’identifie pas, qu’il imite le personnage, qu’il observe et reproduise les manifestations extérieures des émotions qu’il ne ressent pas : ce n’est qu’à ce prix que le spectateur pourra, lui, ressentir les sentiments et s’identifier ; là est le paradoxe du comédien.

Brecht a une pensée plus complexe, dans la mesure où, s’il va plus loin que Diderot en souhaitant que le spectateur ne puisse pas s’identifier à l’acteur, et que ce dernier doit faire en sorte de ne pas se confondre totalement avec son personnage, il doit tout de même en ressentir les émotions.

Valère Novarina tente d’échapper à cette alternative en réclamant du comédien qu’il soit avant tout un corps, une parole : la relation se fait alors moins entre l'acteur et le personnage qu’entre l’acteur et lui-même.




2. Le théâtre et la réalité Ces visions différentes du jeu de l’acteur correspondent à deux conceptions différentes des rapports entre théâtre et réalité.

Pour Polus et Molière, durant le temps de la représentation, le théâtre et la réalité se confondent. La douleur ressentie par le tragédien est celle de sa vie, du deuil pour son fils. On pourrait aller jusqu’à dire qu’il utilise le théâtre pour faire en public le deuil de son fils chéri après l’avoir fait en privé, utilisant consciemment le plateau comme un lieu de « thérapie ». Molière agissait sans doute de même, inventant des personnages qui lui ressemblaient d'une certaine manière, comme Alceste du Misanthrope ou Arnolphe de L’École des femmes, ou réglant par la parodie, dans L’Impromptu de Versailles, ses comptes avec ses très réels concurrents de l’Hôtel de Bourgogne.

Diderot au contraire souhaite comme ses contemporains un théâtre de l’effet, parfois un peu « gros » comme dans le « Vous y serez, ma fille » de l’Iphigénie de Racine. Brecht, quant à lui, pense que la critique sociale et politique qu’il souhaite au théâtre s’accommode mal d’une identification : le spectateur doit rester libre de penser, de garder sa lucidité. Ainsi on évitera l’erreur du soldat de Baltimore, qui, aveuglé par son racisme et son manque de connaissances, tire sur l’acteur qui joue Othello.

Pour Valère Novarina le théâtre n’a pas à être en rapport avec une « réalité » quelconque. Il est un acte en soi, comme la peinture pour le peintre abstrait (ce qu’est également l’auteur de la Lettre aux acteurs.)




Conclusion Devant deux positions aussi tranchées, la clé est sans doute dans un adjectif employé par Stendhal et une conjonction déjà citée. L’auteur de Racine et Shakespeare, écrit qu’« un spectateur ordinaire ... n’a pas l’illusion complète », c’est-à-dire qu’il n’a qu’une illusion partielle, mais tout de même une illusion. Il s’identifie à l’acteur-personnage certes, mais seulement dans une certaine mesure. Aulu Gelle et Claudel utilisent la locution conjonctive « comme si », dans deux sens (directions) différents il est vrai. Mais ce qui compte est l’idée suivante : le théâtre et la réalité sont différents, mais ils ont l’air, le temps d’une représentation, de se confondre. C’est là sans doute la définition de l’illusion théâtrale : elle est volontairement consentie. Voici le vrai paradoxe : c'est dans l'esprit du spectateurque tout se joue, plus encore que dans le jeu de l'acteur, il faut que celui-là en même temps, y croie et soit détaché, en une sorte de légère schizophrénie temporaire, pour que l'acteur puisse jouer.

Cf également :

Pierre Corneille, L'Illusion comique, dernière scène

Pierre Nicole, « Le Métier de comédien »

Marivaux, Les acteurs de bonne foi

Jean-Jacques Rousseau, Lettre à d'Alembert sur les spectacles

Jean Anouilh, La répétition ou l'amour puni

Shakespeare, Hamlet, II 2

Craig, « L'Acteur et la sur-marionnette »

Dario Fo, Le Gai savoir de l'acteur*

Interviews d'acteurs à propos du film de Bertrand Blier, Les Acteurs*

Alexandre Dumas, Kean*

Pirandello, Six personnages en quête d'auteur

Jean Giraudoux, L'Impromptu de Paris

Anouilh, La Répétition ou l'amour puni*


M. Borie, M. de Rougemeont & J. Scherer, Esthétique théâtrale (anthologie de textes théoriques), Sedes.

Stanislavski, La Formation de l'acteur, Payot.


Carné-Prévert, Les Enfants du paradis.

Christine Jacques-Benoit Jacquot, Elvire Jouvet 40

Texte original de Michel Balmont. http://michel.balmont.free.fr/pedago/acteur/synth_acteur.html

Commentaires

1. Le lundi 12 novembre 2007, 13:02 par saugom

On pourrait également parler de la théorie de Constantion Stanislavski "La formation de l'acteur", qui est également opposé à la théorie de Diderot mais qui dévellope un système d'identification et un rapport au personnage bien plus complexe et plus complet que celui de Molière ou Polus.

2. Le mardi 13 novembre 2007, 06:20 par yves

Il faudra effectivement que nous en parlions. Voudriez vous vous en charger ?
Cordialement,

Yves.